Le 05 septembre 2023, dans une école primaire spécialisée de Nalinnes (province du Hainaut), Mathis, un jeune enfant noir de 9 ans fut victime d’une technique de contention potentiellement létale sous les yeux de sa maman, et ce, dans l’enceinte même de l’école où Mathis suit sa scolarité.
Des images filmées par la maman de Mathis montrent une opération policière particulièrement choquante: l’enfant est plaqué au sol et immobilisé pendant quinze longues minutes, un policier exerçant de ses deux genoux une force de contention sur son corps maintenu ventre à terre. Cette technique, interdite dans de nombreux pays, ne peut que tristement rappeler le meurtre de Georges Floyd. Juste avant que l’intervention policière n’ait eu lieu, Mathis avait déjà été violemment traité par un membre du personnel de l’école.
Ces images insoutenables n’ont pas manqué de faire réagir. Comment se fait-il qu’une telle intervention policière ait pu avoir lieu à l’intérieur d’une école sans respect du cadre restrictif en la matière[1] (usage en dernier recours, privilégier tout autre moyen d’apaisement, informer la famille au préalable, produire un rapport écrit, présence d’un risque réel et imminent, dans le cadre de l’intérêt supérieur de l’enfant, recherche de l’implication volontaire de l’élève)? Aucune de ces balises ne semble avoir été respectée[2]. Comment se fait-il qu’une équipe éducative ne puisse résoudre des situations de tension entre enfants se présentant au sein de son établissement? Comment cette direction peut-elle mimer l’étonnement quant aux pratiques des policiers et ainsi se déresponsabiliser des suites ? Ce qui arrive aux enfants au sein de l’établissement, y compris s’il s’agit de tiers (ici policiers), n’est-il pas de la responsabilité de l’école ? Ne se devait-on pas de faire interrompre cette violence policière ? Que s’est-il dit lors des briefings entre école et police ?
Insultes négrophobes
Malheureusement dans cette affaire, le recours à la police et le traitement policier – plaquage ventral interdit sur des adultes dans de nombreux pays – ne sont pas les seuls faits alarmants. Plus tôt dans la journée, Mathis avait été victime d’insultes négrophobes proférées par un autre enfant lors d’une dispute, comme cela avait déjà été le cas précédemment. Le jour de l’agression policière, Mathis l’avait signalé aux enseignants présents. Mais il a dû se débrouiller seul pour gérer la situation. À l’opposé d’une approche éducative attentive aux agressions racistes et négrophobes entre enfants, le choix fut d’interpeller Mathis – l’autre enfant continuant à jouer – et de décider, face à ses réactions à cette situation injuste, d’appeler la police au motif que la situation était devenue « intenable ». Aucune interaction entre Mathis et sa famille n’a été initiée.
Tout de la situation vécue par Mathis et sa maman – de la direction de l’école qui appelle la police au traitement policier proprement dit, en passant par la cour de récréation et la mise à l’écart de la famille pour apaiser Mathis – renvoie à un contexte institutionnel de négrophobie prononcée: Mathis est traité en tant que coupable et non comme victime de racisme.
Ces enchaînements négrophobes font sentir que la perception qui domine est celle de Mathis incarnant le fantasme du corps noir dangereux, qu’on ne peut maîtriser autrement que par la force démesurée. Il est dangereux, voire « dangereux pour lui-même » justifiant alors rétroactivement un traitement violent à son égard.
Scène choquante et dégradante
Et ces images se traduisent, y compris devant la maman. « Tu insultes maman à la maison ? », cette question interjetée à Mathis par une policière alors qu’il était maintenu au sol fait, elle aussi, sentir que l’opération n’a pas consisté à calmer ou à apaiser l’enfant mais, plutôt à construire l’image d’un Mathis sauvage, sans repères. Cette scène choquante durant laquelle la maman de Mathis est privée d’action et de parole (« c’est à lui que je parle »), humiliée dans son rôle de parent, illustre un autre aspect de la négrophobie, celui de la mise en cause de la capacité éducative des parents africains. La maman de Mathis, traitée avec irrespect et paternalisme, fut elle aussi victime de racisme institutionnel.
Cette affaire nous indigne. Elle éclaire au grand jour le phénomène de la négrophobie à l’école non pas uniquement entre enfants, mais aussi celui-ci plus général du traitement injuste et inhumain des enfants noirs et de leurs familles, à travers tout le système éducatif. Cette question se pose avec encore plus d’acuité lorsqu’il s’agit du système d’enseignement spécialisé comme le montrent une série d’études récentes[3], alors que précisément, les approches pédagogiques et en particulier la qualité des interventions sont censées y être particulièrement travaillées. L’aveuglement institutionnel est alors complice de négrophobie.
PV circonstancié contre l’enfant de 9 ans et sa mère
Mais Mathis et sa maman ne sont pas au bout de leurs peines. Au lendemain de l’agression policière, un PV circonstancié dressé par la police et déposé au parquet de Charleroi a été rédigé contre Mathis pour « indiscipline » et « mise en danger sur mineur » ainsi que contre sa maman pour « bashing d’un policier ». Autrement dit, Mathis devient le seul responsable d’un comportement qui l’aurait mis lui-même en danger. Face à la violence et à l’urgence de cette situation vécue par Mathis et sa mère, nous interpelons les responsables politiques et demandons qu’ils prennent les dispositions et sanctions nécessaires afin de rétablir la justice.
Ces poursuites pénales ne semblent pas avoir été abandonnées. Un éventuel transfert du dossier, comme cela semble avoir été envisagé, auprès du Service de l’Aide à la Jeunesse, pour « mise en danger sur mineur » (SAJ) ne changerait rien quant au renversement pervers et à la négation des responsabilités institutionnelles (école, police). Tout ceci fait craindre une issue cherchant à culpabiliser la maman en lieu et place d’une mise en cause des décisions irresponsables et répréhensibles de la direction de l’école.
Nous exigeons:
- l’abandon total des plaintes contre Mathis et sa maman.
- que des sanctions fortes à l’encontre de la direction de l’école soient prises. La Fédération Wallonie-Bruxelles s’est en effet positionnée en rejoignant la version policière et celle défendue par l’établissement scolaire. La FWB estime justifiés, sans vérification indépendante de la réalité des faits, le recours à la police et aux pratiques de contention, plutôt que de partir de la situation et du diagnostic du fléau négrophobe et de ses diverses déclinaisons. Comment, pour des familles noires, construire une confiance dans l’enseignement dans ces conditions ?
- des réformes essentielles du système éducatif sont à construire en matière de lutte contre le racisme et la négrophobie, ce qui inclut les formes d’orientation abusive et de relégation des enfants non blancs vers le spécialisé. Nous avons le devoir collectif de veiller à ce que de tels drames et les logiques qui les sous-tendent, parfois de manière moins visible, soient éradiqués. Nos écoles doivent représenter un environnement safe où chaque enfant, quelle que soit son origine ethnique, se sente respecté et égal, écouté lorsqu’il dénonce le racisme, rendu apte à combattre les formes de racisme hors écoles. Le personnel éducatif doit pouvoir être, en ces matières, formé à l’attention, de manière proactive, soigneuse et précise, qu’il s’agisse du rapport aux enfants ou à leurs parents.
C’est bien grâce à la maman de Mathis, son aplomb et ses enregistrements que nous sommes en mesure de dénoncer ces faits de manière précise. Pour autant, aucune institution ne s’est inquiétée de l’état de santé mentale de Mathis suite à ce traumatisme. Combien de cas sont-ils enfouis loin des regards? La lutte contre le racisme ne peut être remise à plus tard.
[1] Voir circulaire n°5643 (04 mars 2016) relative aux “Mesures de contention et d’isolement dans l’enseignement” et Art. 6 du Décret Missions qui prescrit la promotion de “La confiance en soi et le développement de la personne de chacun des élèves”.
[2] Voir Anas Amara et Martin Vander Elst “Affaire Mathis: une intervention brutale et hors du cadre prévu par la loi”, Cité 24, 14 septembre 2023.
[3] Voir à ce titre Saidi Nordine, L’orientation dans l’enseignement spécialisé au prisme de la question raciale. FOPES/UCL, 2023.
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